Avant Propos :
"La fiancée de Corinthe" de Wolfgang Goethe (1797), est
inspirée d'une histoire de Phlegon de Tralles. Dans le dénouement,
la jeune morte-vivante dévoile sa véritable identité
à son amant d'une nuit.
Et le jeune homme, dans le premier
moment d'effroi,
veut couvrir la jeune fille avec son voile,
cacher la bien-aimée avec le tapis.
Mais elle se débat et se dégage aussitôt.
Comme avec la force d'un esprit,
sa haute stature
se redresse lentement dans le lit.
" Mère, mère !" dit-elle d'une voix
sépulcrale,
"Vous me reprochez donc cette nuit si
belle ?
Vous me chassez de cette chaude couche ?
Ne me suis-je donc réveillée que pour
me livrer au désespoir ?
Ne vous suffit-il donc pas
de m'avoir de bonne heure ensevelie
dans un suaire
et mise au tombeau ?
Mais une loi qui m'est propre me pousse
hors de la tombe étroite au lourd
manteau de terre.
Les chants psalmodiés par vos prêtres
et leur bénédiction n'ont aucun effet.
L'eau et le sel ne peuvent
éteindre les ardeurs de la jeunesse,
et la terre, hélas ! ne refroidit pas l'amour.
Ce jeune homme me fut promis jadis,
alors qu'était encore debout le temple de
l'aimable Vénus.
Mère, et vous avez violé votre promesse
en vous liant par un voeu barbare et sans
valeur.
Car nul Dieu n'exauce
une mère qui jure
de refuser la main de sa fille.
Une force me chasse hors du tombeau
pour chercher encore les biens dont je
suis sevrée,
pour aimer encore l'époux déjà perdu,
et pour aspirer le sang de son coeur.
Et quand celui-ci sera mort,
je devrai me mettre à la recherche
d'autres,
et mes jeunes amants seront victimes de
mon désir furieux.
Beau jeune homme, tes jours sont
comptés.
Tu vas maintenant mourir de langueur
en ce lieu.
Je t'ai donné mon collier ;
J'emporte avec moi ta boucle de
cheveux.
Regarde-la bien !
Demain tes cheveux seront gris ;
dans la tombe seulement ils
redeviendront noirs.
Ecoute maintenant, mère, ma dernière
prière ;
Fais dresser un bûcher.
Ouvre l'étroit tombeau où j'étouffe,
et rend au repos les amants en les livrant
aux flammes.
Quand l'étincelle jaillira,
quand les cendres seront ardentes,
nous nous envolerons vers les anciens
dieux !"
Wolfgang Goethe,
La fiancés de Corinthe,
Aubier-Montaigne, 1944,
traduction de Léon Miss